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| Tindouf : Un pan d'histoire
Janvier 1953 Tindouf et sa région Éclairage: Cette note date de janvier 1953. Elle donne un aperçu de Tindouf et de sa région à l'époque. Elle s'attarde à situer la géographie de la zone puis passe très vite à des réflexions sur les Réguibat, la population nomade de cette contrée. Elle enchaîne ensuite sur les sédentaires, les Tadjakant. La dualité nomade sédentaire,qui se traduisait par un antagonisme latent, était à l'époque vécu comme un phénomène normal de société.Est décrite ensuite la vie d'un peloton méhariste dont la tache consistait à administrer le pays et à maintenir la paix entre les tribus rivales en leur enlevant toute velléité de recourir aux rezzous du siècle précédent.
Situation géographique:
Occupée seulement en 1934 par les troupes du Général Trinquet et peu accessible par voie de terre jusqu'à l'ouverture en 1945 d'une bonne route partant d'Agadir, Tindouf n'a pu acquérir le prestige des grandes oasis du Sahara Central - El Golea, Ouargla, Adrar ou Timimoun- plus proche d'Alger.Rien d'ailleurs, ne prédispose Tindouf à être un des hauts lieux du tourisme saharien. La palmeraie, par manque d'eau, est chétive. La« hamada» l qui l'environne est d'une monotonie désespérante. Les grands nomades Reguibat - les fameux « hommes bleus» - n'y viennent nombreux qu'en de rares occasions, ou lorsqu'une extrême sécheresse, les contraint à se transformer momentanément en terrassiers dans les chantiers d'assistance.Bien qu'elle soit promise à un bel avenir économique depuis qu'a été découvert, en 1950, le gisement de fer de Gara Djebilet, la région de Tindouf n'est encore qu'une« marche militaire» couvrant,(I) Hamada: plateau rocailleux aux communications faciles.face au Maroc et aux territoires espagnols, le Sahara Occidental. Ce rôle que lui assigne la géographie a pris plus d'importance depuis que se sont affirmées avec force, du côté marocain, des revendications territoriales fort précises sur le Sahara Occidental.L'Annexe de Tindouf recouvre un territoire immense qu'habite une population très clairsemée de nomades Réguibat dont les campements se déplacent au gré des pluies. C'est seulement à Tindouf qu'on trouve une population relativement fixe; les Tadjakant qui avaient autrefois un monopole presque absolu du commerce caravanier dans le Sahara occidental; les Arabes Cheraga venus de l’Est; les anciens militaires retraités de la Compagnie Méhariste du Touât.Alors que l'occupation militaire s'était limitée jusqu'à des temps récents à Tindouf, des impératifs nouveaux ont fait surgir du sol, à proximité immédiate d'une frontière non encore officiellement délimitée, des postes qui ont surtout pour mission de surveiller la frontière avec le Maroc: Oum El Achar, sur la piste impériale N°01(Agadir - Saint-Louis du Sénégal, par Tindouf, Fort Trinquet, Fort Gouraud et Atar); Hassi El Mounir dans l'Oued Zemmoul. Plus à L’ouest, sur la piste de Colomb Béchar à Tindouf, le poste de Tinfouchy contrôle surtout un trafic routier soumis aux aléas de la distance (1.050 km de Colomb Béchar) et du climat. L'isolement de ces postes du Nord est grand. Il n'est rompu,épisodiquement, que par les avions de ravitaillement et des convois terrestres. La tâche de ceux-ci n'est d'ailleurs pas facile car deux de ces postes sont séparés de Tindouf par une profonde faille de terrain,qui correspond à la descente de la Hamada de Tindouf dans la vallée du Dra, non sans que s'interpose entre l'une et l'autre la petite chaîne montagneuse de l' Ouarkziz.Vers le Sud-Est, la platitude de la Hamada n'est interrompue, à160 km de Tindouf, que par les petites montagnes noires et tabulaires,de Gara Djebilet où le minerai de fer presque à fleur de terre, pourra être exploité sans gros travaux de découverte.Vers l'Ouest et le Sud-Ouest, aucun accident important deterrain n'existe jusqu'aux premières falaises de la Seguiet El Hamraqui marquent, en terre espagnole, la ligne de partage des eaux entre leversant atlantique et le versant saharien. Le passage est aisé, à traversle Yetti, en direction de la Mauritanie.
C'est seulement vers le Sud-Est, mais très loin, que le paysage se transforme radicalement. On entre alors, avec l'Iguidi, dans le domaine des dunes qui font la joie des touristes et des grands nomades. Mais, déjà, nous sommes aux confins de l'Algérie: le poste de Chegga, qui marque la limite de l'Algérie et de l'A.O.F. est occupé par des éléments militaires de l'A.O.F. Les Réguibat Grands nomades du Sahara Occidental L'ancêtre éponyme des Réguibat est le Cheikh Sid Ahmed Réguibi. Il serait le fils de Moulay Abdesselem Mechiche. Quoiqu'il en soit, Sid Ahmed aurait été, selon la légende, le Chérif descendant de Fatima, fille du Prophète. Animé d'un prosélytisme actif, entouré de nombreux disciples, il devint un marabout dans tout le Sahara Occidental. Sid Ahmed portait toujours autour du cou une sorte de collier de cuir, au moyen duquel, dit-on, le Prophète devait le conduire au paradis après sa mort; cette corde « regba » l'aurait fait surnommer Réguibi, et ses disciples Réguibat.Sid Ahmed mourut sans laisser d'enfant. Quelques mois après,une femme mettait au monde un enfant qu'elle déclarait être le fils du Marabout. Suivant la coutume en pareil cas, le garçon reçut pour prénom le nom de son père. Certains affirment que le surnom de Réguibi ne date que de cet enfant.La tradition est unanime à admettre que ce deuxième Réguibi mourut lui aussi sans laisser d'héritier. Le même artifice permet de lui attribuer un fils posthume, appelé lui aussi Sid Ahmed Réguibi. Ce sont les enfants de ce troisième Réguibi qui donnèrent leurs noms aux différentes fractions de Réguibat. Les origines du Réguibi, on le voit, sont assez confuses. Chef intelligent et entreprenant Sid Ahmed s'enfonça dans le désert et chercha un territoire pour s'installer. Ce pays fut conquis par le fer. Le Réguibi prit femme dans une tribu berbère, les Sellam, qui était sous sa protection et en eut trois fils : Qacem, Mohamed et Amar. A la suite de contestations survenues entre ces derniers au sujet de chameaux, et en vue d'éviter de graves querelles de succession, Sid Ahmed décida de partager ses biens avant sa mort: Qacem hérita de l'Ouest de son territoire, Mohamed et Amarde l'Est. Mais il semble plutôt que la scission ne fut que très progressive et rendue nécessaire pour des raisons économiques.Possédant surtout des chevaux, des moutons et des chèvres, les descendants de Qacem ne pouvaient guère s'éloigner des régions où les points d'eau sont assez rapprochés, c'est-à-dire le Zemmour, la Seguiet El Hamra. Par contre, les fils de Mohamed et d'Amar, plutôt chameliers, et de ce fait moins liés aux puits, pouvaient nomadiser plus à l'Est. Ainsi, peu à peu, deux puissants groupements se constituèrent, qui devaient toujours vivre en bonne intelligence, les Réguibat Legouacem à l'Ouest et les Réguibat Sahel à l'Est. Ces derniers nomadisent actuellement en Mauritanie.Au début du XVlIIème siècle, les Réguibat Legouacem formaient une confédération dont la puissance n'allait pas tarder à se renforcer. De nombreuses tribus se mettaient sous leur protection.Mais leurs troupeaux, sans cesse plus importants, excitaient la convoitise de leurs voisins. Obligés de défendre leurs terrains de parcours, ces pasteurs devinrent des guerriers, et bientôt, des pillards à leur tour. En 1850, ils essuyèrent une défaite face à leurs premiers adversaires les Tadjakant. A partir de 1860, date de leur écrasant succès sur la tribu des Ouled El Lob, à El Freha, leurs campagnes sont toutes victorieuses: Mohamed El Kounti en 1865, au Nord de la Seguiet ; Cheikh Abidin avec les Ouled Salem et les Ouled Moulat en1875 ; les Ouled Delim en 1886, sont tout à tour vaincus. Tindouf est pillé en 1894. Les Tadjakant sont dispersés, puis les Ouled Ghilane sont décimés de 1898 à 1903. Mais les Réguibat ne sont réellement devenus les maîtres du Sahara Occidental qu'à partir de 1907, par leur victoire sur les Ouled Bou Sba, à Foucht (Oued El Abiodh). Cette prise de possession du Sahara fut facile grâce aux tributaires qui composaient la confédération, et qui étaient en majorité des nomades familiarisés avec le désert (Cdt A. Cauneille). Lorsque les troupes françaises pénétrèrent à Atar en 1909, les Réguibat étaient à leur apogée militaire.Après leur soumission à la France en 1934, le nomadisme changeait de forme dans ces immenses étendues pacifiées: on assistait à une dispersion des Réguibat que rien désormais n'obligeait à vivre groupés en tribus perpétuellement sur le pied de guerre.Avec la paix française, les troupeaux des Réguibat ont augmenté considérablement et certains nomades jusqu'à ces dernières années ont connu une réelle prospérité. Malheureusement, le manque quasi-total de pluies depuis cette année a contribué à la perte des troupeaux et beaucoup de nomades aisés sont devenus miséreux. Toute la vie de ces éternels voyageurs est basée sur la progression des nuages qui commande leurs déplacements. Que vienne la pluie, chacun est libre d'errer à sa guise. Les pâturages sont alors abondants, les chamelles donnent un lait léger et agréable à boire. Délivré des soucis purement matériels, le nomade est alors un excellent compagnon de route, un hôte parfait. Il comprend la plaisanterie, en use bien souvent. Il al' esprit gai. Il est intelligent,ouvert, foncièrement sympathique. Esprit curieux, il est toujours à l'affût de nouvelles et a une faculté d'adaptation étonnante; mais si par nécessité, il doit se sédentariser et faire un métier comme tout le monde, son premier réflexe, une fois libéré de ces contraintes, sera de reprendre sa vie de nomadisation. Cette vie souvent rude, mais où l'ona le temps devant soi, où la fantaisie se mêlant aux choses de tous les jours, plait infiniment plus au nomade que le confort ou la sécurité d'une activité sédentaire. Le nomade sent confusément qu'il n'est pas encore trop éloigné du bonheur, la liberté. Il s'y cramponne de toutes ses forces.Les Tadjakant caravaniers du désert L' ancêtre éponyme des Tadjakant serait un certain Jakani Labar.D'après eux, ils descendraient d'Abou Bakr Es Seddik, beau-père du Prophète et premier Calife de l'Islam, et seraient issus de l'illustre famille des quoraïschites.Venus d'Arabie avec les premières invasions, les Tadjakant se seraient installés dans l'Adrar de Mauritanie. En réalité, il semble plutôt que les Tadjakant soient les descendants d'une fraction d'une puissante tribu de berbères appartenant au clan des Sanhâja voilés, les Lemtouna, dont le berceau était l'Adrar de Mauritanie. Convertis à l'Islam au IXème siècle, les Lemtouna se jetèrent dans une guerre de prosélytes contre les «noirs infidèles ». Un de leurs chefs, Yahia Ben Brahim El Kedali, à la suite d'un pèlerinage à la Mecque, entreprit d’enseigner le Coran à ses sujets insuffisamment instruits. Abdallah Ben Yasin fut chargé de cette tâche. Il fonda dans une île du Sénégal ou du Niger, une sorte de couvent militaire (ribât), dont les membres étaient les gens du ribât ou El Mourabitine, terme que les espagnols ont transformé en Almoravides. Après la chute de l’Empire almoravide, les Tadjakant s'étant sédentarisés, fondèrent entre Chinguetti et Ouadane l'importante cité de Tinigui et celle de Togba.Cette tribu de pasteurs s'adonnait au commerce du sel provenant de la Sebkha d'Idjil. Mais des dissensions ne devaient pas tarder à s’élever entre les Tadjakant, et elles aboutirent à une guerre civile au cours de laquelle Tinigui fut réduite en cendres. Les Tadjakant se dispersèrent,les uns vers le Nord dans le Kmoul et l'Iguidi, les autres dans le Trarza et le Sud Sénégalais, ou dans le Tagant et le Gorgol. D’autres enfin se fixèrent à Tombouctou. Ils ne cessèrent de nomadiser jusqu’au début du XIXème siècle dans tout le Sahara Occidental, et sympathisèrent avec les Touareg et les Kounta.Leur histoire nous est mieux connue à partir du XIXème siècle,et elle est marquée par leur rivalité avec les Réguibat. Une première guerre victorieuse, déclenchée à la suite d'un meurtre, permit au Cheikh Mrabet Ould Belamech de fonder Tindouf en 1852, sur l’emplacement d'un ksar qui existait déjà au début du XVlème siècle.Grâce à sa situation entre le Sud marocain, la Mauritanie et le Soudan,grâce aussi à l'importance de sa confrérie religieuse, la petite cité prit un rapide essor. Très vite la population s'éleva à un millier d'habitants sans compter les esclaves. Les Tadjakant apportaient au Sultan de l'encens, des plumes d'autruches, du henné, des cuirs, de l'or, de l'ivoire, enfin et surtout des esclaves Bambara: C. Doulls en vit une caravane de 520 personnes lors de son passage à Tindouf en 1884. En échange, ils achetaient des cotonnades, du corail, des cuivres, du sucre et du thé. Devenus riches, ils s'installèrent somptueusement dans de belles maisons à étages. En vue de récupérer des animaux volés par les reguibat, Ahmed Degna Ould Mrabet Belamech constitua un djich formé de Beraber, de Doui Menia et d'Ouled Djerir. Malgré un succès initial, le sort des armes ne lui fut pas favorable: les Réguibat alliés aux Aït Oussa, pillèrent Tindouf et détruisirent ses défenses en Mai 1894.En 1915, une quinzaine de familles, sous la conduite d'un chef énergique, tentèrent de relever les ruines de la cité. Mais leurs caravanes étaient souvent interceptées par les Réguibat ; l'une d'entre elles, venant de Tombouctou, chargée de barres d'argent, ne parvint jamais à destination. Tindouf est de nouveau ravagé. Alors, de guerre lasse, en 1918, les Tadjakant se dispersent, et leur chef vient solliciter l'aide des forces françaises, qui ne trouvèrent à leur arrivée à Tindouf en 1934 qu'un seul homme. Trois mois plus tard, seize familles totalisant 35 personnes s'étaient réinstallées. Le chiffre actuel de la population sédentaire de Tindouf est de 2.000 habitants. Ce chiffre à lui seul est éloquent quand on pense que les troupes françaises à leur arrivée en 1934, n'ont trouvé qu'un vieux jardinier.Mais la suppression des esclaves et du marché de l'or, ont ralenti les activités caravanières des Tadjakant, ces grands commerçants du désert. On compte à peu près quatre caravanes par an qui partent de Tindouf jusqu'à Tombouctou et Gao en passant par Taoudeni et qui reviennent six mois ou un an après. Au départ, les chameaux sont chargés de thé et d'étoffes, du Khount, le tissu bleu des chèches qui adonné le nom aux « hommes bleus ». Au retour, les chameaux portent des chargements d'encens en pains très appréciés dans les maisons des Tadjakant de Tindouf et qui se vend plus de 1.000 francs le kilo.Quelques tapis, tentures et figurines en bois d'ébène viennent compléter le chargement. La sebkha de Tindouf est également exploitée par les Tadjakant qui vendent de grandes plaques de sel sur le souk animé de ce petit centre où sédentaires et nomades.ades commercent en bonne intelligence.
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